Manoir
Montaphilant
La mission de
l'Europe
1) les relations
entre pays dans lesquels les trois systèmes organiques de l'Etat politique, de
l'économie et de la vie de l'esprit seraient autonomisés : Voici ce qu'en dit
Rudolf Steiner en 1919 dans son livre "Fondements de l'organisme social",
chapitre 4 sur la triarticulation sociale et les relations internationales.
4. Relations
internationales des organismes sociaux
[04/01] La
triarticulation interne de l'organisme social sain conduira à des relations
internationales elles aussi triarticulées. Chacun des trois domaines aura sa
relation indépendante avec le domaine correspondant des autres organismes
sociaux. Entre les pays s'établiront des relations économiques qui ne seront
pas directement influencées par les relations entre les Etats politiques.
[* Celui qui objecte que les relations
juridiques et économiques forment en fait un tout et qu'elles ne peuvent être
séparées les unes des autres, passe à côté de ce que nous entendons par
articulation sociale. Dans l'ensemble des échanges commerciaux, les deux sortes
de relations agissent bien entendu comme un tout. Mais décider des droits en
fonction des nécessités économiques n'est pas la même chose que d'en décider en
fonction de sentiments de justice élémentaires et de seulement ensuite laisser
interagir ce qui en est résulté avec les échanges économiques.]
Et, réciproquement, les relations des Etats
politiques se développeront, dans une certaine mesure, totalement
indépendamment des relations économiques. De par cette indépendance au niveau
de leur genèse, ces différentes sortes de relations pourront se contrebalancer
en cas de conflit. Des liens d'intérêt se noueront entre les différents
organismes sociaux qui feront apparaître les frontières territoriales comme
étant sans relevance pour la communauté humaine. Les organisations spirituelles
des différents pays pourront avoir entre elles des relations qui résultent
uniquement de la vie spirituelle commune de l'humanité. La vie spirituelle,
indépendante de l'Etat et ne reposant que sur elle-même, sera à l'origine d'une
nouvelle situation, dont il ne peut être question aussi longtemps que la
reconnaissance des productions spirituelles dépend de l'Etat et non de
l'organisation du spirituel. A cet égard, il n'y a pas de différence entre les
productions de la science, dont l'internationalité est évidente, et celles
d'autres domaines de l'esprit. Un de ces domaines de l'esprit est par exemple
la langue propre à un peuple, et tout ce qui a directement trait à la langue.
La conscience propre à un peuple relève aussi de ce domaine. Les habitants d'un
territoire linguistique éviteraient nombre de conflits avec ceux d'un autre
s'ils renonçaient à se servir de l'organisation de l'Etat ou de la puissance
économique pour faire valoir leur culture. Lorsque la culture d'un peuple a,
comparée à une autre, une plus forte capacité d'expansion et fécondité
spirituelle, son expansion est justifiée et peut s'accomplir d'une manière
pacifique, si elle est exclusivement confiée aux institutions qui dépendent des
organismes spirituels.
[04/02]
Actuellement, la plus vive opposition à la triarticulation de l'organisme
social vient encore des groupements humains qui se sont développés à partir de
la communauté de langue et de culture ethnique. Cette opposition devra se plier
devant le but que l'ensemble de l'humanité va devoir se fixer, d'une manière de
plus en plus consciente, pour répondre aux nécessités du temps présent. Cette
humanité ressentira que chacune de ses parties constituantes n'accède à une vie
véritablement digne de l'homme que lorsqu'elle se relie de manière énergique à
toutes les autres parties. Les groupements ethniques et autres impulsions
d'ordre naturel, sont historiquement à l'origine des communautés juridiques et
économiques actuelles. Mais les forces par lesquelles les ethnies évoluent,
ont, pour se déployer, besoin d'une interaction qui ne soit pas entravée par
les relations que les Etats politiques et les coopératives économiques
développent entre eux. Ce sera le cas lorsque les communautés ethniques réaliseront
la triarticulation interne de leurs organismes sociaux, de telle manière que
chacun des trois systèmes puisse développer ses propres relations indépendantes
avec d'autres organismes.
[04/03] Entre
peuples, états et corps économiques se forment alors des relations d'ordre
multiple qui relient chaque partie de l'humanité à d'autres parties, de telle
manière que chacune ressente intérieurement la vie des autres, dans ses propres
intérêts. Une Société des Nations prend naissance dans de telles impulsions fondamentales
qui l'ancrent dans la réalité. Il ne sera pas nécessaire de la «mettre en
place» d'un point de vue uniquement juridique.
[* Celui qui y voit en cela une «utopie» ne
voit pas qu'en vérité la réalité tend vers des institutions qu'il tient pour
utopiques, et que la dégradation de cette même réalité provient justement du
fait que ces institutions font défaut.]
[04/04] Pour une
pensée qui s'attache à la réalité, il doit sembler particulièrement
significatif que d'un organisme social, les buts présentés ici tout en ayant
valeur pour toute l'humanité, peuvent néanmoins être réalisés par chaque
organisme individuel, indépendamment de l'attitude provisoire d'autres pays
envers cette réalisation. Lorsqu'un organisme social s'ordonne en ses trois domaines
naturels, les délégations de ces trois domaines peuvent en tant que corps
constitué unitaire entrer en relations internationales avec d'autres, même si
ces autres n'ont pas encore envisagé la triarticulation pour eux-mêmes. Qui
prend l'initiative de cette triarticulation oeuvre pour un but humain
communautaire. Bien plus que par les constatations d'un congrés, ou sur la base
de conventions, ce qui doit être fait réussira par la force de ce qui, dans la
vie, se révèle comme un but fondé sur de véritables impulsions humaines. Ce but
est conçu sur une base de réalité; dans la vie réelle, on peut s'efforcer de
l'atteindre à tous les niveaux.
Rudolf Steiner
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