La rencontre intérieure avec la réalité spirituelle du
couronnement d'épines, qui fait suite au lavement des pieds et à la
flagellation, révèle à la connaissance des faits spirituels et des lois qui
ne sont pas moins importants et fondamentaux que ce n'est le cas dans
le lavement des pieds et dans la flagellation. Elle révèle la manière,
voulue par le monde spirituel et conforme à ses intentions, de régler les
relations entre l'avant et l'arrière. Car cette relation doit être réglée
de manière tout aussi consciente dans le sens de l'impulsion du Christ
que les relations entre le haut et le bas et entre la droite et la gauche;
cela doit se faire par le travail spirituel, par le destin et par l'histoire du
monde.
Pour comprendre de quoi il s'agit dans la relation entre l'avant et
l'arrière, il faut d'abord considérer l'être humain du point de vue de
cette problématique. Et il faut commencer par considérer, dans sa
portée intérieure, le « simple » fait que dans ses activités de
perception, de parler, d'agir et de marcher, l'homme est orienté vers
rayant. L'homme frontal est celui qui perçoit, parle, agit avec ses mains
et se déplace avec ses jambes, alors que l'homme dorsal est aveugle,
muet et incapable d'agir.
L'organisation physique de l'homme exprime la réalité
intérieure: l'homme actif est orienté vers l'avant et l'homme passif vers
l'arrière. Par conséquent, tout courage dans la vie terrestre trouve son
expression, ainsi que ses organes, dans l'homme frontal; toute dévotion
vis-à-vis des règnes supérieurs et inconnus de l'existence est disposée
dans l'homme dorsal. Mais l'homme, tel qu'il est devenu après la Chute,
n'est pas uniquement un représentant du courage et de la dévotion; au
contraire, il est prédisposé de telle sorte que la crainte et la honte
jouent un r6le pour le moins aussi important que le courage dans la vie et la dévotion envers le destin.
Car les deux principales forces élémentaires qui sont entrées dans l'homme à cause de la Chute sont justement la crainte et la honte. Dans la Bible, ce fait est indiqué lorsqu'il y est dit qu'Adam s'est caché devant le Seigneur et que le premier couple humain a vu « qu'ils étaient nus ». Les yeux des hommes se sont en effet « ouverts », mais en même temps, les hommes on pris conscience de leur « nudité ». Lucifer a donc bien tenu sa promesse: les sens de l'homme frontal se sont ouverts sur le monde extérieur - mais en même temps est entrée en lui la honte. Et la force qui a chassé, venant de derrière, l’homme dorsal du Paradis et qui lui a fait prendre la fuite était la force de la crainte. Depuis ce temps, l'homme frontal est habité par la honte et l'homme dorsal par la crainte. Car ces deux forces empêchent l'homme d'avoir à nouveau l'expérience du « Paradis », sur le seuil duquel se tient le Gardien. La honte le fait se détourner du Paradis et la crainte l'en maintient éloigné. Or ces forces agissent principalement en restant enfouies dans le subconscient de l'homme. Là elles ont comme effet le rideau qui couvre le monde spirituel. Seulement une petite partie de ces forces transparaît dans la conscience qu'on ressent dans le corps physique. Mais si la conscience s'élève jusqu'au corps éthérique, elle se rend alors compte de ces forces. Et dans le corps éthérique elle rencontre ces forces d'une manière qui correspond à la nature du corps éthérique qui est un corps temporel. Là elle ressent la honte comme étant la puissance élémentaire qui couvre le passé; par contre la crainte est ressentie comme étant la force qui voile l'avenir. Car dans son corps éthérique l'homme est organisé de manière opposée par rapport à son organisation physique. Cela ne concerne pas uniquement le sexe, mais aussi la relation entre l'homme frontal et l'homme dorsal: quand l'homme regarde vers l'avant dans son corps physique, il regarde dans son corps éthérique vers l'arrière. L'homme qui voit, c'est-à-dire l'homme « frontal », est
dans le corps éthérique celui qui voit le passé, et l'homme « dorsal » est orienté vers l'avant, vers le futur.
Ces prédispositions arrivent à leur plein développement, dans les composantes supérieures de l'être humain, pendant la vie d'après la mort; alors l'homme vit l'état de kamaloca en une rétrospective en sens rétrograde et il vit l'état de devachan dans la direction de l'avenir.
Mais en règle générale ces prédispositions n'arrivent pas à se
développer pendant la vie entre la naissance et la mort. Elles n'arrivent
pas à se développer parce que la honte et la crainte dérobent le monde
spirituel à la vue. Ces deux forces du sentiment sont le karma
« intérieur » des éléments luciférien et ahrimanien dans l'homme. Elles
empêchent l'homme d'entrer consciemment dans le monde spirituel. Mais
les mêmes forces deviennent pour Mme des ailes, quand la honte est
transformée en conscience morale, et la crainte en vénération. Car la
honte et la crainte sont les rayons de l'épée à deux tranchants du
Gardien qui se tient sur le Seuil du monde spirituel et avec laquelle il
retient celui qui n'est pas autorisé à franchir ce Seuil; par contre, la
conscience morale éveillée et la vénération sont les deux ailes sur
lesquelles le même Gardien élève l'âme de l'homme dans le monde
spirituel.
Il s'ensuit que la rencontre avec le 6ardien du Seuil est le
troisième principe du chemin chrétien rosicrucien. Car cette rencontre
détermine la méthode de préparation et elle est aussi celle qui confère
sûreté aux connaissances concernant le monde spirituel. La partie non
transformée des éléments luciférien et ahrimanien est laissée de ce
côté-ci du Seuil, alors l'expérience ayant lieu de l'autre côté du Seuil est
sûre. Elle est donc sûre parce qu'on l'atteint sans la participation des
forces qui font naître des illusions.
Or il existe ici aussi d'autres chemins qui mènent à des
expériences spirituelles sans passer par la rencontre avec le Gardien du
Seuil. II existe par exemple des hommes qui aspirent au « repos béni
dans la lumière ». Ils y aspirent de telle sorte qu'ils veulent ressentir le
monde spirituel en tant que béatitude. Ils s'élèvent en intensifiant la vénération jusqu'à l'expérience de la béatitude lumineuse dans laquelle ils oublient tout - y compris tous les besoins et les souffrances de
l'humanité. Mais de cette manière ils contreviennent à la requête du Gardien de maintenir la conscience morale éveillée. Il est vrai qu'ils cultivent la vénération, mais l'aspiration à la béatitude (ananda) estompe
la conscience morale. Et tandis qu'elle insensibilise la conscience morale,
elle insensibilise aussi la conscience de la rencontre avec le Gardien du
Seuil. Pour la conscience, cette rencontre n'a pas lieu; à cause de cela
n'a pas lieu non plus l'entrée dans le vrai monde spirituel. La «béatitude
lumineuse » qu'on ressent sur ce chemin n’est pas le monde spirituel dans
lequel l'homme entre post mortem seulement après la purification dans
le kamaloca et où il entre aussi sur le chemin de l'initiation seulement
après la rencontre avec le Gardien, mais c'est une région particulière de
l'existence qui peut être appelée « devachan luciférien ». Cette région
est une sorte de « double luciférien de la Terre; elle est lumineuse,
mais elle ne contient aucune vérité.
D'autres personnes aspirent par contre à une connaissance de
l'invisible en surmontant la crainte Mais ils ne développent pas le
courage qui est l'expression de la vénération, mais le courage du réalisme
dépourvu de vénération. Par cela ils arrivent à l'expérience de ce qu'on
appelle « la vérité toute crue » des hommes et de l'univers. Ils font
l'expérience des mystères de la subconscience des hommes, comme de
celle de l'organisme de la Terre. Toutes les formes de l'égoïsme de
l'homme leur sont révélées et ils connaissent de nombreuses forces de
l'intérieur de la Terre. Beaucoup de courage est en effet nécessaire
pour les connaître, mais ce courage est, selon sa nature - puisqu'il est
dépourvu de vénération - du cynisme spirituel Et l'homme tel qu'il est
connu par ce chemin n'est pas le vrai homme, mais l'homme inférieur du
subconscient; et le monde qui est connu alors n'est pas le vrai monde
spirituel, mais son reflet déformé jusqu'à son contraire sous la forme
des sphères de l'intérieur de la Terre. Car il n'est pas possible d'entrer
dans le vrai monde spirituel par ce chemin, le vrai monde spirituel étant
gardé par le Gardien, et ses exigences sont le courage de la conscience
morale et la dévotion empreinte de vénération. Si on évite la rencontre
avec le Gardien, l'aspiration unilatérale ne conduit pas au monde
spirituel, mais dans le monde de Lucifer ou dans celui d'Ahrimane.
Pour cette raison, la rencontre avec le Gardien du Seuil est à la
base de la méthode de l'école chrétienne rosicrucienne dans la même
mesure que le principe du « lavement des pieds » et que celui de la
« flagellation ». Mais la rencontre avec le Gardien o des conséquences
bien déterminées pour celui qui l'a vécue. Certains mystères de
l'existence lui sont révélés et par cela il devient lui-même « gardien » de
ces mystères. Le Gardien du Seuil lui confie, à partir de ce moment, une
partie de sa mission. L'homme se trouvera investi lui-même d'une partie
de la responsabilité et de la mission qui incombait ou Gardien du Seuil.
Ce qui lui avait été confié par le monde spirituel, l'homme doit
maintenant le « garder » dans le sens de la mission du Gardien du Seuil.
Mais cela signifie que le choix de la manière dont il veut mettre son
savoir au service de l'humanité lui est laissé libre. Car la « garde » ne
consiste pas à garder secret ou à dissimuler, mais a pour mission de
rendre la connaissance accessible, de manière juste, à tous ceux qui y
aspirent consciemment et qui en ont réellement besoin.
Ainsi on confie à l'homme une nouvelle dignité quand il surmonte
l'épreuve de la rencontre avec le Gardien. On lui met une « couronne ».mais qui ne serait dans les yeux du monde que moquerie et dérision si son existence était connue; elle signifie pour la personne en question
une nouvelle souffrance et une nouvelle épreuve. Car s'il a fallu
surmonter la honte et la crainte pour satisfaire aux exigences du
Gardien du Seuil on en devient pour autant de plus en plus soi-même non
seulement représentant du mystère, mais aussi éveilleur de la honte et
de la crainte chez les autres.
L'homme ne devient pas simplement généreux donateur pour les
autres, mais en même temps il devient lui-même une épreuve pour beaucoup de personnes. Il devra accepter le fait que représenter la vérité devant les hommes éveille souvent en même temps leur honte et
leur épouvante, accepter aussi la nécessité de se tenir muet aux yeux
d'une multitude qui l'épie avidement pour lui trouver quelque chose qui
serait indigne de la vérité qu'il représente, ou bien qui cherchent dans
son cheminement les preuves d'une fausse vérité. Car la honte qui ne
veut pas être démasquée ouvre les yeux des hommes à tous les défauts
de la personnalité qui doit représenter le monde spirituel, et la crainte
qui veut rester cachée confère au regard de l'homme l'habileté de
trouver, dans la vérité spirituelle représentée par l'homme en question,
des contradictions.
C’est à de tels yeux que s'expose celui qui a pris sur lui de « garder », de représenter la vérité spirituelle. Et celui qui porte la couronne d’épines doit surmonter la honte et la crainte de s'exposer de
la sorte devant les yeux des hommes, comme il a eu à surmonter la honte
et la crainte devant la voix de la conscience morale spirituelle
représentée par le Gardien du Seuil. Il ne doit pas se laisser entraîner
dans des polémiques pour se défendre et il ne doit pas non plus reculer
épouvanté devant le « regard effronté et tranchant » des hommes qui le
dépouillent et qui dépècent ce qui lui est le plus sacré. Il ne doit se
permettre ni un pas agressif vers l'avant, ni céder d'un pas en arrière.
La couronne d'épines de sa mission l'oblige à se maintenir, à se tenir dans
la vérité. Ce maintien est en même temps l'expérience d'une nouvelle
dignité; la dignité de la vérité qu'il représente. Et cette dignité est la
vraie dignité de l'homme, la dignité du fils de l'homme.
Ce qui vient d'être caractérisé ici de manière plut6t générale peut être clarifié, en se basant sur de nombreux exemples concrets donnant une image vivante et bouleversante, quand on considère à partir de ce point de vue la vie de Rudolf Steiner. La vie de Rudolf Steiner est
effectivement la meilleure source à laquelle on peut puiser une compréhension profonde du lavement des pieds, de la flagellation, du couronnement d'épines, du portement de la croix et de la crucifixion.
Ces degrés ont été transposés par le cours de cette vie dans l'histoire spirituelle de notre époque et ils représentent en même temps les caractéristiques de l'histoire spirituelle future de l'humanité Car le couronnement d'épines est aussi, pareillement à la flagellation par exemple, une nécessité future, historique et karmique, de l'histoire du genre humain. Le couronnement d'épines deviendra une situation du domaine de l'histoire spirituelle dans le futur de l'humanité, quand « l'humanité blanche » (4) s'opposera à l'humanité ahrimanienne, après la
séparation complète des deux courants. Alors l'humanité « blanche » se tiendra comme représentante de la vérité spirituelle devant l'autre humanité, en tant que reproche et en même temps avertissement. Et elle se tiendra alors devant une humanité devenue clairvoyante de tous les manquements et faiblesses, devant une humanité qui aura non seulement
la faculté de percer à jour tout ce qui est imparfait, mais aussi la faculté d'agir de manière destructive en utilisant chaque imperfection comme porte d'entrée. Alors cette parole deviendra vérité historique:
« Celui qui a, on lui donnera, mais celui qui n'a pas, même ce qu'il a lui sera enlevé jusqu'au dernier reste » Tout bien se trouvant encore prisonnier du compromis sera anéanti par les forces de l'autre humanité. Ainsi « le dernier reste » sera enlevé à ceux qui « n'auront » pas l'attitude sans compromis.
Ici peut se finir la considération des trois premiers stades de la
Passion dans leur signification pour la méthode occulte, pour le karma et
pour l'histoire spirituelle du genre humain. Il y aurait à rajouter encore
un petit résumé spirituel-moral comprenant l'essentiel de ces étapes. Ce
résumé peut s'exprimer en courtes phrases. Car dans le lavement des
pieds, il s'agit de surmonter la fierté par le service rendu dans la
flagellation, de l'attitude sans compromis et sans pencher des deux
côtés; dans le couronnement d'épines il s'agit de se tenir au nom de la
vérité, sans fuir en avant et sans fléchir en arrière. Ainsi les trois
stades du chemin chrétien peuvent être résumés dans les paroles
:
« Que le premier soit le serviteur de tous.
Que sa main gauche ne sache pas ce que fait la droite.
Qu'il sache: le serviteur n'est pas plus grand que son maître.
»
Les prochains stades de la Passion seront discutés dans l'étude
suivante.
Notes :
(1) Rudolf Steiner décrit cette initiation chrétienne dans L'Evangile selon Jean »,
Triades, 1998, onzième conférence, et il donne dans « Seelenübungen mit Wort-
und Sinnbild-Meditationen » GA 267 des indications plus précises
pour ce chemin (pages 262 â 268) (NDT).
(2) dans « Aspects spirituels de l’Europe du Nord et de la Russie », EAR, 1981
(3) E,A.R., 1989 et Editions Novalis. 1993
(4) Le terme d' « humanité blanche » est utilisé ici dans le même sens que celui de
— con Bradford Riley.